L’al­lai­te­ment : un droit

(Dimanche 24 à 8h45)

Pré­sident : André SOLER, psy­cho­logue cli­ni­cien à Clermont-Ferrand, haptothérapeute

Inter­ve­nante :

Enre­gis­tre­ment, rap­port et transcription

Dans la mesure où l’allaitement est une rela­tion qui concerne néces­sai­re­ment deux per­sonnes, la ques­tion peut s’entendre de deux façons.

Pre­miè­re­ment, y a‑t-il un droit de la mère à allai­ter ? A cette ques­tion, on peut répondre oui en ce qui concerne le droit d’allaiter par­tout (rien dans la loi n’interdit l’allaitement en public).

Pour ce qui est du droit du tra­vail, des mesures légis­la­tives existent, plus ou moins res­pec­tées : pauses d’allaitement, chambres d’allaitement…

En cas de sépa­ra­tion des parents, l’allaitement au-delà de quelques mois était très rare­ment pris en consi­dé­ra­tion quand il s’agissait de déter­mi­ner les droits de garde et de visite du père. Une juris­pru­dence toute récente semble indi­quer un pos­sible changement.

Res­tent le droit d’être cor­rec­te­ment infor­mée sur les enjeux de san­té afin de faire un choix vrai­ment éclai­ré. Le PNNS 2006 – 2010 est clair sur ce point, qui parle de « pro­mou­voir sys­té­ma­ti­que­ment l’allaitement mater­nel lors de la visite du qua­trième mois de gros­sesse ». Et le droit d’être sou­te­nue dans son choix tout au long de l’allaitement, qui pose le pro­blème de la for­ma­tion ini­tiale et conti­nue des pro­fes­sion­nels de san­té (voir éga­le­ment le PNNS 2), et néces­site de connaître l’existence des asso­cia­tions de soutien.

Deuxiè­me­ment, y a‑t-il un droit de l’enfant à être allai­té ? C’est là, on s’en doute, un point beau­coup plus sen­sible et liti­gieux, car il semble sup­pri­mer la liber­té de choix de la femme. Le droit à la san­té, à la meilleure san­té pos­sible (voir par exemple la Conven­tion des droits de l’enfant) implique-t-il le droit à être allai­té (ou du moins à rece­voir du lait humain), quand on connaît les effets sur la san­té de l’allaitement et du non-allaitement ?

DISCUSSION DE CET ATELIER

L’allaitement, un geste moderne

Les textes qui pré­cèdent le montrent bien : de tous temps et en tout lieu, le pou­voir des femmes de faire naître les enfants, de les nour­rir dans le secret de leur uté­rus puis à leurs seins, a sus­ci­té émer­veille­ment et crainte, admi­ra­tion et peur, inex­tri­ca­ble­ment liés.De là sans doute, tous les inter­dits (notam­ment ali­men­taires) impo­sés aux femmes enceintes et allai­tantes, dans la plu­part des cultures. De là aus­si, actuel­le­ment, l’hypermédicalisation de la gros­sesse, de l’accouchement et de la pué­ri­cul­ture qui, même si elle a eu des effets posi­tifs, infan­ti­lise la femme, en fait une « patiente », poten­tiel­le­ment dan­ge­reuse pour elle et son enfant.

Dans tous les cas, il s’agit bien de limi­ter, enca­drer, dimi­nuer ce for­mi­dable pou­voir des femmes de créer la vie.

Allaitement et histoire des femmes

Contrai­re­ment à ce qu’on croit sou­vent, défendre l’allaitement, ce n’est pas prô­ner un retour au passé.En fait, l’Histoire montre qu’en France notam­ment, la « tra­di­tion », ce n’est pas l’allaitement du bébé par sa mère, mais bien plu­tôt sa délé­ga­tion à une autre per­sonne (la nour­rice) ou à un pro­duit (lait ani­mal, puis lait « adap­té » en poudre).

Et cela, non pas tant au nom de la libé­ra­tion de la femme qu’au nom de l’intérêt du mari (1) ou de l’économie (la mise en nour­rice, comme le bibe­ron, a per­mis la mise au tra­vail des femmes dans les périodes de guerre, lorsque les hommes étaient au front).

Quelques chiffres mon­trant que le bibe­ron n’est pas néces­sai­re­ment un outil de pro­mo­tion des femmes : en France, il y a 52 % d’allaitement mater­nel à la nais­sance et moins de 12 % de femmes élues à l’Assemblée natio­nale (élec­tions légis­la­tives de juin 2002) ; en Suède, il y a 99 % d’allaitement mater­nel à la nais­sance et 43 % de femmes élues au niveau natio­nal. Il est vrai que dans les pays scan­di­naves, contrai­re­ment à ce qui s’est pas­sé en France, le mou­ve­ment fémi­niste a tou­jours inté­gré dans ses com­bats le droit à la mater­ni­té et la pro­mo­tion de l’allaitement maternel.

Allaitement et confiance en soi

En fait, si l’on écoute par­ler les femmes qui ont pu allai­ter comme elles le sou­hai­taient, on s’aperçoit qu’un allai­te­ment réus­si donne à une femme une extra­or­di­naire confiance en ses capa­ci­tés, un sen­ti­ment de force, de puis­sance, de com­pé­tence, de plénitude.Elle sait qu’elle a pu faire gran­dir et gros­sir son enfant avec quelque chose que son propre corps a pro­duit. Elle n’a pas eu à s’en remettre à un pro­duit indus­triel, elle n’a pas eu à suivre les direc­tives d’un « expert » sur les quan­ti­tés à don­ner, les horaires à res­pec­ter, etc. C’était elle l’expert en ce qui concer­nait la nutri­tion et le bien-être de son enfant.

Allaitement et travail

Contrai­re­ment à ce qu’on croit sou­vent, l’allaitement n’est pas du tout incom­pa­tible avec la reprise d’un tra­vail. De plus en plus de femmes se rendent compte qu’il n’est pas néces­saire de sevrer leur bébé avant de reprendre. Elles conti­nuent un allai­te­ment exclu­sif jusqu’au jour J, puis, après la reprise, conti­nuent à allai­ter chaque fois qu’elles ont le bébé avec elles (matin, soir, jours de congé.), voire tire leur lait pour qu’il lui soit don­né pen­dant leur absence, en pro­fi­tant notam­ment des pauses d’allaitement pré­vues par la loi (2).

Allaitement et système marchand

Par défi­ni­tion, l’allaitement échappe au sys­tème mar­chand. Le lait de femme est gra­tuit (sauf lorsqu’il est recueilli par les lac­ta­riums : il a alors un prix, éle­vé : 410 F le litre). Sauf excep­tion, il ne néces­site aucun dis­po­si­tif pour sa pro­duc­tion ni son uti­li­sa­tion (3).C’est bien ce qui en cha­grine beau­coup. Cer­tains essayent donc de per­sua­der les femmes qui veulent allai­ter qu’elles ont besoin pour le faire de toute une série de gad­gets sou­vent inutiles voire nui­sibles (coquilles, bouts de sein.). D’autres, les plus nom­breux, essayent par tous les moyens de se créer de nou­veaux mar­chés en ten­tant de rem­pla­cer le lait mater­nel par leurs pro­duits industriels.

Chez nous, depuis la loi de 1994 et son décret d’application de 1998 (4), les fabri­cants sont obli­gés d’admettre que « l’allaitement, c’est ce qu’il y a de mieux ». Mais ils se rat­trapent avec les laits 2° âge et autres « laits de crois­sance », comme si l’allaitement ne pou­vait pas se pour­suivre au-delà des trois ou quatre pre­miers mois.

Dans le Tiers-Monde, leurs pra­tiques com­mer­ciales agres­sives peuvent avoir des consé­quences dra­ma­tiques (5). Les condi­tions d’hygiène pré­caires (impos­si­bi­li­té de sté­ri­li­ser les bibe­rons, manque d’eau potable), le coût d’achat des poudres de lait (6), entraînent par­tout les mêmes maux : gastro-entérites, mal­nu­tri­tion, aller­gies. L’Unicef estime à 1 mil­lion 500.000 le nombre d’enfants qui décèdent chaque année de la « mala­die du biberon ».

Allaitement et écologie

Le lait de femme est une res­source natu­relle mon­diale à pro­té­ger. Il est fabri­qué par les mères dans les quan­ti­tés exactes que réclament les bébés, sans gas­pillage et sans peser sur l’environnement comme le fait l’alimentation arti­fi­cielle qui néces­site de l’eau, de l’énergie et des emballages.L’alimentation arti­fi­cielle d’un enfant consomme 73 kg de bois (ou l’équivalent éner­gé­tique) par an (pour faire bouillir bibe­rons et tétines et chauf­fer l’eau), 3 litres d’eau par jour (1 litre pour diluer la poudre, 2 litres pour faire bouillir bibe­rons et tétines). Pour 3 mil­lions de bébés nour­ris au bibe­ron, 450 mil­lions de boîtes de lait sont uti­li­sées chaque année, ce qui repré­sente des mil­liers de tonnes de métal et de carton.

Allaitement et santé publique

Il est impos­sible d’écrire sur l’aspect social de l’allaitement sans dire que l’allaitement n’est pas seule­ment affaire de choix indi­vi­duel, mais est aus­si un pro­blème de san­té publique.Toutes les études scien­ti­fiques des vingt der­nières années montrent les béné­fices de l’allaitement pour la san­té à court et long terme des enfants et des mères. Quatre exemples récents par­mi beau­coup d’autres :

- une étude faite sur 13.000 enfants bava­rois entre 5 et 6 ans a trou­vé 17,1 % d’obésité ou de sur­poids chez ceux qui n’avaient pas été allai­tés, contre 1,7 % chez ceux qui avaient été allai­tés entre 6 et 12 mois ;

- une étude por­tant sur plus de 2000 enfants aus­tra­liens sui­vis de leur nais­sance à l’âge de 6 ans a mon­tré qu’un allai­te­ment exclu­sif d’au moins 4 mois rédui­sait de façon signi­fi­ca­tive le risque d’asthme et d’atopie ;

- une étude effec­tuée auprès de 2300 bébés cali­for­niens de moins de 2 ans a mon­tré que ceux qui avaient été allai­tés exclu­si­ve­ment pen­dant six mois avaient cinq fois moins de risques de contrac­ter une pneu­mo­nie, et deux fois moins de risques d’avoir une otite ;

- une étude faite en 2001 a mon­tré que trois ans après leur der­nier accou­che­ment, les mères ado­les­centes ayant allai­té avaient une den­si­té osseuse supé­rieure de 5 à 7 % à celle des mères ado­les­centes n’ayant pas allaité.

Et le plaisir…

Mais plu­tôt que sur des sta­tis­tiques médi­cales, j’aimerais conclure sur le plai­sir éprou­vé par les femmes à allai­ter leurs petits, et le plai­sir res­sen­ti par les bébés. Un plai­sir par­ta­gé dont on parle peu, comme si l’on pen­sait que le plai­sir est sus­pect (« elle se fait plai­sir à allai­ter ».), et que décrivent tant de textes de cette antho­lo­gie. Comme le dit Annie Leclerc, « c’est le corps qui est heu­reux quand le lait monte dans les seins comme une sève vivace, c’est le corps qui est heu­reux quand le bébé tète. »Je sou­haite aux mères et aux bébés du monde entier des mil­liers de tétées heu­reuses qui contri­bue­ront, je l’espère, à l’avènement d’un monde un peu meilleur.

Claude Didierjean-Jouveau

Notes

(1) Comme on pen­sait autre­fois qu’il ne fal­lait pas avoir de rap­ports sexuels tant qu’on allai­tait, la mise en nour­rice de l’enfant dès sa nais­sance per­met­tait au mari d’exiger à nou­veau le « devoir conju­gal », et ce avec la béné­dic­tion de l’Eglise (voir Louis Flan­drin, Familles, paren­té, mai­son, sexua­li­té dans l’ancienne socié­té, Edi­tions du Seuil).
(2) Articles L224‑2 et R224-1du Code du travail.
(3) La prin­ci­pale excep­tion consiste dans les cas de sépa­ra­tion mère/enfant (bébés pré­ma­tu­rés, bébés hos­pi­ta­li­sés, tra­vail de la mère) où le lait ne passe plus direc­te­ment du pro­duc­teur au consom­ma­teur, mais néces­site d’être tiré (tire-lait) puis don­né (bibe­rons, tasses, etc.)
(4) Qui inter­disent la publi­ci­té pour les laits 1er âge dans la presse grand public, la dis­tri­bu­tion d’échantillons aux mères et la four­ni­ture gra­tuite aux maternités.
(5) Ce qui jus­ti­fie ample­ment le boy­cott de Nest­lé, relan­cé depuis 1988.
(6) En 1998, on esti­mait que le coût d’achat du lait indus­triel pour un bébé de 3 mois repré­sen­tait 6 % du salaire men­suel mini­mum en Alle­magne et. 50 % en Indo­né­sie ! (source : WABA)

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